mardi 2 décembre 2008
Vous avez écrit une pièce de théâtre, A propos de Martin, ainsi que des chansons. Y a-t-il un lien entre les deux écritures ?
Bien sur. Au théâtre j’ai écrit et joué seul en scène « À propos de Martin » , où le personnage s’exprimait par intermittence en vers, et finissait carrément en alexandrins. J’ai écrit des revues pour Zizi Jeanmaire et Roland Petit au Casino de Paris, pour Jean Marie Rivière au Paradis Latin dont un délirant Carmen !
Et puis les émissions des Carpentier où, avec mon complice et compositeur Jean Jacques Debout, on a bien ri ! Liberté totale, on avait carte blanche ! Au secours !
J’adore écrire des duos, des quatuor, des ensembles... comme au théâtre quoi !
J’ai mis Johnny en Adam, Sylvie en Eve, Carlos en Hardy, Sylvie en Laurel, Annie Cordy et Jacques Martin, Denis Roussos, Françoise Hardy, Souchon, etc...
Chabrol avait vu au générique « Lyrics de Roger Dumas », ça le faisait mourir de rire, et il décida de m’appeler « Lyric man » ! Et puis des chansons : « Comme un garçon », « Ce matin un lapin », « Capitaine Flam », etc...
Un jour, à la fin du tournage d’Inch’allah Dimanche, Yamina Benguigui, comme on fait toujours dans les films, dit : « Roger vient de tourner son dernier plan! » D’habitude quand un acteur a fini le film, toute l’équipe applaudit. Là, ils s’étaient donnés le mot et se sont tous mis à chanter Capitaine Flam, ils avaient répété, ils chantaient ensemble. On m’a refait le coup à la fin d’une pièce à Tours. Tout était fini, je m’en allais dans la nuit après la dernière représentation. Au loin, derrière moi, toute l’équipe s’est mise à chanter Capitaine Flam. Tout se mélange, les chansons, les films, le théâtre. Ce sont des souvenirs, des impressions. Des moments agréables de la vie. Du bonheur de création.
Etes-vous d'abord venu au théâtre ou à la chanson ?
D’abord le théâtre. J’étais fils de boulanger. Je ne connaissais rien ni personne. Un jour, je suis allé frapper tout tremblant à la porte du cours Simon. J’avais 17 ans. Il ne voulait pas me prendre parce que j’étais trop jeune, j’ai insisté, je l’ai tellement fait rire René Simon, avec mon incroyable culot qu’il m’a pris. Vers la fin de l’année, je passe une scène, et on me dit
« Roger il y a ça pour vous ». Un nommé André Cerf repérait des jeunes comédiens. On me dit «Allez le voir vous avez rendez-vous demain à deux heures ». Je me présente. Il me dit: «Allez voir Michel de Ré de ma part, vous avez rendez-vous à quatre heures. ». Je vais voir Michel de Ré. C’est formidable quand on a 18 ans. Il me donne un texte et me dit: «Lisez moi ça». Je lis la moitié d’une page et j’entends: «Ca va, c’est bon». Je suis resté deux ans chez Michel de Ré, j’en suis parti en 1952 pour tourner mon premier film « Les fruits sauvages », j’avais 20 ans.
A cette époque, on avait tous envie d’aller chez Michel de Ré, il y avait Michel Piccoli, Françoise Dorin... Michel était tout le temps fauché et on faisait du théâtre avec un enthousiasme incroyable. Et des pièces radiophoniques pour gagner notre vie.
A l'époque, il n'y avait pas de chaînes de télévision. Il y a d'abord eu une chaîne, puis deux. On a alors joué en direct. C’est ainsi que j'ai joué l'Arlequin du Prince travesti de Marivaux. Six cent lignes de texte, trois cent places à mémoriser. Les cameramen marquaient sur le sol et quand on arrivait à la place 23 on nous disait: « Fais attention, parce qu'il y a une caméra qui passe en gros plan donc mets ton épaule bien comme ça. » C'était très très très compliqué mais on apprenait plus de trois cent places par cœur. Quand on est passé par là, on n'a plus peur de rien.
Pour ces pièces, on répétait un mois puis pendant six jours avec la technique qui venait dans les studios. Dès le premier jour étaient dessinées sur le sol les proportions exactes des décors dans lesquels on allait tourner. C'était à la grande époque de SFP (Société Française de Production). La SFP avait ses ateliers de costumes, c'était la caverne d'Ali Baba. Quand on rentrait là-dedans, c'était des couloirs et des couloirs, des costumes, des bottes, etc. Il y avait la salle Marivaux, la salle Molière, la salle 19ème siècle... Ça a été bradé. J'ai adoré cette époque de la SFP. J’ai été bien heureux à ce moment là. J’ai joué des très beaux rôles. Costumes sur mesure. On râlait parce qu'il y avait trois essayages. Aujourd'hui on regrette d'avoir râlé car on n'a plus trois essayages. Enfin si, ça arrive. Par exemple, dans L'Antichambre, c'était des costumes magnifiques.
J’ai été très gâté dans ma vie. Quand j’ai joué Rue des Prairies avec Jean Gabin, j’avais 27 ans. A cette époque il n’y avait pas les Césars, il y avait le prix Suzanne Bianchetti. C’est un prix de femme qui a toujours été remis à des femmes. L’année de Rue des Prairies, j’étais marié avec Marie-Josée Nat qui était la favorite. On m’appelle et on me dit « Vous venez d’obtenir à l’unanimité le prix Suzanne Bianchetti. » « Attendez, je vous passe ma femme »
« Non, non, c’est pour vous... » Incroyable ! Je suis depuis le seul homme à avoir reçu le prix Suzanne Bianchetti. Aujourd'hui on le remet avec l’ensemble des prix de la SACD, mais avant il y avait une cérémonie particulière et je me retrouvais avec toutes ces belles comédiennes.
Vous parlez de Jean Gabin, est-ce qu’il y a une rencontre qui vous a particulièrement marqué ?
Bien sur. Au théâtre j’ai écrit et joué seul en scène « À propos de Martin » , où le personnage s’exprimait par intermittence en vers, et finissait carrément en alexandrins. J’ai écrit des revues pour Zizi Jeanmaire et Roland Petit au Casino de Paris, pour Jean Marie Rivière au Paradis Latin dont un délirant Carmen !
Et puis les émissions des Carpentier où, avec mon complice et compositeur Jean Jacques Debout, on a bien ri ! Liberté totale, on avait carte blanche ! Au secours !
J’adore écrire des duos, des quatuor, des ensembles... comme au théâtre quoi !
J’ai mis Johnny en Adam, Sylvie en Eve, Carlos en Hardy, Sylvie en Laurel, Annie Cordy et Jacques Martin, Denis Roussos, Françoise Hardy, Souchon, etc...
Chabrol avait vu au générique « Lyrics de Roger Dumas », ça le faisait mourir de rire, et il décida de m’appeler « Lyric man » ! Et puis des chansons : « Comme un garçon », « Ce matin un lapin », « Capitaine Flam », etc...
Un jour, à la fin du tournage d’Inch’allah Dimanche, Yamina Benguigui, comme on fait toujours dans les films, dit : « Roger vient de tourner son dernier plan! » D’habitude quand un acteur a fini le film, toute l’équipe applaudit. Là, ils s’étaient donnés le mot et se sont tous mis à chanter Capitaine Flam, ils avaient répété, ils chantaient ensemble. On m’a refait le coup à la fin d’une pièce à Tours. Tout était fini, je m’en allais dans la nuit après la dernière représentation. Au loin, derrière moi, toute l’équipe s’est mise à chanter Capitaine Flam. Tout se mélange, les chansons, les films, le théâtre. Ce sont des souvenirs, des impressions. Des moments agréables de la vie. Du bonheur de création.
Etes-vous d'abord venu au théâtre ou à la chanson ?
D’abord le théâtre. J’étais fils de boulanger. Je ne connaissais rien ni personne. Un jour, je suis allé frapper tout tremblant à la porte du cours Simon. J’avais 17 ans. Il ne voulait pas me prendre parce que j’étais trop jeune, j’ai insisté, je l’ai tellement fait rire René Simon, avec mon incroyable culot qu’il m’a pris. Vers la fin de l’année, je passe une scène, et on me dit
« Roger il y a ça pour vous ». Un nommé André Cerf repérait des jeunes comédiens. On me dit «Allez le voir vous avez rendez-vous demain à deux heures ». Je me présente. Il me dit: «Allez voir Michel de Ré de ma part, vous avez rendez-vous à quatre heures. ». Je vais voir Michel de Ré. C’est formidable quand on a 18 ans. Il me donne un texte et me dit: «Lisez moi ça». Je lis la moitié d’une page et j’entends: «Ca va, c’est bon». Je suis resté deux ans chez Michel de Ré, j’en suis parti en 1952 pour tourner mon premier film « Les fruits sauvages », j’avais 20 ans.
A cette époque, on avait tous envie d’aller chez Michel de Ré, il y avait Michel Piccoli, Françoise Dorin... Michel était tout le temps fauché et on faisait du théâtre avec un enthousiasme incroyable. Et des pièces radiophoniques pour gagner notre vie.
A l'époque, il n'y avait pas de chaînes de télévision. Il y a d'abord eu une chaîne, puis deux. On a alors joué en direct. C’est ainsi que j'ai joué l'Arlequin du Prince travesti de Marivaux. Six cent lignes de texte, trois cent places à mémoriser. Les cameramen marquaient sur le sol et quand on arrivait à la place 23 on nous disait: « Fais attention, parce qu'il y a une caméra qui passe en gros plan donc mets ton épaule bien comme ça. » C'était très très très compliqué mais on apprenait plus de trois cent places par cœur. Quand on est passé par là, on n'a plus peur de rien.
Pour ces pièces, on répétait un mois puis pendant six jours avec la technique qui venait dans les studios. Dès le premier jour étaient dessinées sur le sol les proportions exactes des décors dans lesquels on allait tourner. C'était à la grande époque de SFP (Société Française de Production). La SFP avait ses ateliers de costumes, c'était la caverne d'Ali Baba. Quand on rentrait là-dedans, c'était des couloirs et des couloirs, des costumes, des bottes, etc. Il y avait la salle Marivaux, la salle Molière, la salle 19ème siècle... Ça a été bradé. J'ai adoré cette époque de la SFP. J’ai été bien heureux à ce moment là. J’ai joué des très beaux rôles. Costumes sur mesure. On râlait parce qu'il y avait trois essayages. Aujourd'hui on regrette d'avoir râlé car on n'a plus trois essayages. Enfin si, ça arrive. Par exemple, dans L'Antichambre, c'était des costumes magnifiques.
J’ai été très gâté dans ma vie. Quand j’ai joué Rue des Prairies avec Jean Gabin, j’avais 27 ans. A cette époque il n’y avait pas les Césars, il y avait le prix Suzanne Bianchetti. C’est un prix de femme qui a toujours été remis à des femmes. L’année de Rue des Prairies, j’étais marié avec Marie-Josée Nat qui était la favorite. On m’appelle et on me dit « Vous venez d’obtenir à l’unanimité le prix Suzanne Bianchetti. » « Attendez, je vous passe ma femme »
« Non, non, c’est pour vous... » Incroyable ! Je suis depuis le seul homme à avoir reçu le prix Suzanne Bianchetti. Aujourd'hui on le remet avec l’ensemble des prix de la SACD, mais avant il y avait une cérémonie particulière et je me retrouvais avec toutes ces belles comédiennes.
Vous parlez de Jean Gabin, est-ce qu’il y a une rencontre qui vous a particulièrement marqué ?
Il n'y a pas qu'une personne qui m'a marqué dans ma carrière. Il y a évidemment Jean Gabin. Il a été mon papa de cinéma, mon papa de vie aussi. Il m’a appris des choses essentielles, sans avoir l’air de donner de conseils. Il disait toujours: « T’emmerde pas mitron, fais-le comme ça… » et tout y était. Il m’appelait mitron parce que quand il habitait Neuilly, tous les vendredi il commandait un Pithivier chez mes parents. C’est moi qui le lui faisais son Pithivier. J’avais 15 ans et quand il venait le chercher lui-même, je passais ma tête enfarinée par la porte de l’arrière boutique. Je le raconte dans Martin : «Il est là, il paye, et il emporte mon Pithivier... Ca y est, je suis dans le cinéma!!!»
Un jour, je jouais déjà une pièce au théâtre avec Jean-Louis Trintignant. Avec Gilles Grangier ils sont venus voir Jean-Louis pour un film. À la fin, «Pépé le Moko» est à la porte de ma loge : «Bravo môme, c’est bien ! Mais dis donc toi, tu serais pas le petit mitron de la rue de Chézy ? » Il m’avait reconnu. J’en aurais pleuré.
Jacques Weber aussi. J’ai eu une traversée du désert parce que quand j’ai joué Rue des prairies je jouais un rôle de 17 ans alors que j’en avais 27. Pendant des années je n’arrivais pas à vieillir. Je ne pouvais pas jouer les pères, je ne pouvais pas jouer les fils. C’est à cette époque-là que j’ai fait des chansons. Pendant 10 ans j’ai fait des chansons. Et puis un jour il y en a un qui m’a rattrapé par le fond de culotte, c’est Jacques Weber. Un jour il m’appelle - il était directeur du théâtre de Nice - et me dit « Je monte l’adaptation pour le théâtre du Comte de Monte Cristo et je ne vois personne d’autre. Est ce que tu veux bien venir avec moi à Nice ? » J’ai dis Oui. Mes choix sont toujours immédiats. Je suis parti à Nice et j'y suis resté deux ans. J’ai joué Le Comte de Monte Cristo, nous avions tourné ensemble le film au Portugal. J’ai aussi joué là-bas Oronte du Misanthrope. C’est Jacques qui a produit Martin. Il m’a programmé sans que j’aie écrit une ligne. Il m’a dit « Je te produis, fais ce que tu veux ». C’est pour ca que je lui garde une affection, une fidélité indéfectibles.
Je n’écris plus de chansons, je ne veux pas me disperser. Tout pour le théâtre.
Chercher, chercher encore. J’ai une grande admiration pour les acteurs qui cherchent, qui ne croient pas toujours que c’est acquis. L’autre jour, dans la revue Théâtral, je vois Weber. Pour son Flaubert, il a demandé à un jeune metteur en scène, avec son optique à lui de lui enlever tout le « fatras » et de le mettre en scène. Il lui a dit « Mets moi en scène. Libre à toi. Mets moi à nu . » C’est magnifique.
Un jour, je jouais déjà une pièce au théâtre avec Jean-Louis Trintignant. Avec Gilles Grangier ils sont venus voir Jean-Louis pour un film. À la fin, «Pépé le Moko» est à la porte de ma loge : «Bravo môme, c’est bien ! Mais dis donc toi, tu serais pas le petit mitron de la rue de Chézy ? » Il m’avait reconnu. J’en aurais pleuré.
Jacques Weber aussi. J’ai eu une traversée du désert parce que quand j’ai joué Rue des prairies je jouais un rôle de 17 ans alors que j’en avais 27. Pendant des années je n’arrivais pas à vieillir. Je ne pouvais pas jouer les pères, je ne pouvais pas jouer les fils. C’est à cette époque-là que j’ai fait des chansons. Pendant 10 ans j’ai fait des chansons. Et puis un jour il y en a un qui m’a rattrapé par le fond de culotte, c’est Jacques Weber. Un jour il m’appelle - il était directeur du théâtre de Nice - et me dit « Je monte l’adaptation pour le théâtre du Comte de Monte Cristo et je ne vois personne d’autre. Est ce que tu veux bien venir avec moi à Nice ? » J’ai dis Oui. Mes choix sont toujours immédiats. Je suis parti à Nice et j'y suis resté deux ans. J’ai joué Le Comte de Monte Cristo, nous avions tourné ensemble le film au Portugal. J’ai aussi joué là-bas Oronte du Misanthrope. C’est Jacques qui a produit Martin. Il m’a programmé sans que j’aie écrit une ligne. Il m’a dit « Je te produis, fais ce que tu veux ». C’est pour ca que je lui garde une affection, une fidélité indéfectibles.
Je n’écris plus de chansons, je ne veux pas me disperser. Tout pour le théâtre.
Chercher, chercher encore. J’ai une grande admiration pour les acteurs qui cherchent, qui ne croient pas toujours que c’est acquis. L’autre jour, dans la revue Théâtral, je vois Weber. Pour son Flaubert, il a demandé à un jeune metteur en scène, avec son optique à lui de lui enlever tout le « fatras » et de le mettre en scène. Il lui a dit « Mets moi en scène. Libre à toi. Mets moi à nu . » C’est magnifique.
Il y a quelques années, je me suis retrouvé à tourner en Espagne avec Michel Bouquet pendant plus de deux mois, pour un film de Chabrol. J’ai eut la chance que Bouquet m’aime bien. Chaque fois que j’ai eu à me poser des questions sur mon métier je suis allé le voir et je le fais encore.
Justement, que faites-vous pour préparer un rôle ? pour vous l’approprier, le travailler ?
Pas de voix d’acteur, de diction d’acteur, la technique on doit la posséder mais pas la montrer. Surtout ne pas être théâtral. Il fût un temps où je me servais trop de ce que j’avais trop appris. J’étais devenu un acteur explicatif, habile. L’habileté qui se voit, quelle horreur !
Bouquet dit : « Ne leur explique rien, ils comprennent! » Surtout ne pas ressembler à un acteur, ressembler au rôle qu’on joue. On répétait «Le retour» de Pinter avec Jean-Pierre Marielle et il disait «Non non, je ne vais pas faire ça ! Là ça fait théâtre ! » Et il trouvait la simple vérité. Avant on venait voir l’acteur faire l’acteur, mais quoiqu’en dise certains, le jeu a évolué. Déjà Fernand Ledoux n’avait pas l’air d’un acteur, il était un vrai chef de gare ! Même Sarah Bernhart a dit : « Quel dommage que le cinéma soit venu si tard, je n’aurais pas joué de la même façon... » Trintignant ne ressemble pas à un acteur. J’ai joué 250 fois «Moins deux» avec lui, j’ai toujours vu en scène un type incroyable. Avec lui, aucun truc possible. Aucun subterfuge. Un jour, je lui ai fait sincèrement le plus beau compliment qu’on puisse faire à un comédien : « Quand je te vois jouer, j’oublie que je te connais. »
Bouquet dit : « Un personnage on y pense un peu, en voiture, on lit un bouquin, on regarde le bonhomme qui passe dans la rue, comment il marche, ça serait intéressant. On n’y pense plus, on oublie, on laisse venir... »
Un jour, en répétition, le personnage prend possession de vous-même. Il rentre en vous par effraction. Georges Wilson raconte dans un livre comment, un jour, en répétition, sans savoir quand ça va se passer, l’acteur se débarrasse de sa chrysalide. Ça a l’air compliqué, c’est difficile de trouver la simplicité.
Je vous donne un petit exemple puisque vous me posez une question. Dans Hysteria, je jouais ce personnage de médecin juif qui est toujours en vélo, qui reste chez Freud les soirs où il y a le couvre-feu. Et un jour je demande à ma femme : « Ce personnage il est comment ? Il est célibataire ou il est marié ? Qu’est ce qu’il a dans sa sacoche ? Il a des trucs à piqûres, il a une chambre à air de vélo... » Ma femme me dit : une pomme. Voilà ! Avec la pomme, j’ai compris le personnage. S’il avait une pomme, c’est qu’il était célibataire. Il n’a pas de femme pour lui préparer son goûter. Autour de cette pomme, tout d’un coup mon personnage a commencé à se construire.
Un jour, on demande à Fellini comment il fait pour écrire ses films et il dit « Vous pensez à un des moments les plus forts qui vous est arrivé dans votre vie et il y a un petit fil qui dépasse. Vous tirez tout doucement, pour ne pas le casser ». Pour un acteur c’est pareil. Il y a un petit fil rouge qui dépasse, et puis on tire, et tout d’un coup on s’aperçoit qu’il n’y a plus d’effort à faire. Il n’y a pas à faire trois ans de diction pour ça.
Au cinéma, les gens croient qu’on est assis tout le temps. On est assis mais il faut rester dans le film. Gabin disait « Quand tu arrives au studio, tu viens livrer. Le boulot tu l’as fait à la maison. » Comme on ne répète pas ensemble, on a répété nous-même. On pense au personnage. C’est magnifique de rassembler les petits bouts de prise pour en faire une unité. On ouvre une porte en colère, un mois après on tourne le plan où on rentre dans le couloir. Il faut se souvenir de la densité de colère qu’on avait. Je trouve ça passionnant.
Est ce qu’il vous est arrivé qu’un personnage prenne possession de vous au point qu’il soit difficile de s’en défaire une fois la pièce ou le tournage terminé ?
Ça n'est pas trop difficile de se défaire des rôles, ce qui est difficile c’est de se défaire de l’amitié de la troupe qu’on quitte, du film qu’on quitte. On ne vit que provisoirement. On se crée des famille provisoires. Il faut le savoir.
Bouquet m’a toujours dit que les personnages de salauds il faut les jouer sympathiques. Parce que les salauds, ils ne se disent pas qu’ils sont des salauds. Il dit aussi qu'il faut toujours défendre son personnage. Quand j'ai joué Danglars, ça a duré quatre mois au Portugal. Danglars c’est l’ordure, le comptable qui envoie Monte Cristo aux galères. Danglars, je l’avais défendu. Le dernier jour de tournage, j’avoue que je suis allé poser mon costume sur un portant et, pour moi tout seul, comme ça, j’ai dit « Salut Danglars ». J’avais l’impression de perdre quelqu'un que j’avais côtoyé longtemps.
Un jour, j’ai fait une expérience. Comme ça, pour moi tout seul, sans rien en dire. Je tournais dans une propriété dans le midi. Il y avait une grille, puis un parc, puis une grande maison. Je jouais le grand-père qui est censé avoir passé toute sa vie dans la maison. Je me suis dit « Il faut que cette maison t’appartienne. Vraiment. » Donc, le premier jour du tournage, en franchissant la grille je me suis mis à m’inventer des souvenirs d’enfance en y mêlant les miens, et je me disais : « Oh oui, la je me souviens quand j’avais 5 ans et que mon père m’a rattrapé par le fond de la culotte parce que j’allais sauter le petit mur qui est là bas. Et puis cet arbre là, il y en avait un autre à côté et ils l’ont coupé. » Je suis monté dans les étages et j’avais une porte à ouvrir. J’ouvre la porte, je l’ouvre, je la ferme, je l’ouvre, je la ferme. Je tourne la poignée. Un machino me demande ce que je fais et je lui dis « Je m’approprie la porte ». Parce que quand on a vécu toute une vie dans une maison, on ne cherche pas la poignée d'une porte. Ça a marché. Comme les enfants, je m’étais inventé une vie à laquelle je croyais dur comme fer.
Et jouer votre pièce est plus difficile ?
Non… c’est pareil. Je jouais dans le Misanthrope avec Arnaud Bédouet qui m’a mis en scène pour Martin. Je l'ai vu à l’inverse de moi, soigneux, méticuleux, c’était mon homme. Je suis allé un jour chez lui et je lui ai lu ce que j’avais écrit. Au bout de deux minutes il me dit
« C’est bon., c’est d’accord. » À la première répétition, il s'assoit, silence, et je lui dit : « Je ferai exactement ce que tu me demanderas. Je me livre à toi.» Il était soulagé. J’ai joué ce texte comme si je ne l’avais pas écrit. Hélène Delprat m’avait fait un décor magnifique.
Comment a débuté l’aventure Moins Deux qui vous a valu un Molière ?
La pièce Moins Deux c’est toute une histoire. Un jour, Jean-Louis (Trintignant) me dit
« Est-ce que tu jouerais avec moi ? » Je lui dit « Bien sûr ». Jean-Louis est de ces acteurs qui tous les soirs disent que ce serait bien qu’il y ait un petit accident. Un rien du tout, un trou de mémoire. Il faut que tous les jours il y ait une petite différence pour que ça nous empêche de s'installer dans des rails. Sinon on joue avec des tics. Avec ces petits accidents, la pièce retrouve sa fraîcheur tous les soirs. Ça crée de la vie.
Si vous aviez en face de vous un jeune comédien, que voudriez-vous lui dire, dans le contexte actuel, qui est peut-être un peu plus difficile…
Le contexte actuel n'est pas plus difficile. Quand j’ai débuté il n’y avait pas de télé. Il n'y avait qu'une chaîne. Maintenant ça tourne dans tous les sens. Il y a plus de travail. On dit qu’on est nombreux, qu'il y a 800 personnes au Cours Florent. Mais combien restent? Quand un jeune comédien me dit « Je veux être comédien, qu'en pensez-vous ? » je lui dis « vas-y ! et si dans un an tu as toujours envie d’être comédien, et bien tu es fait pour ça ! » Aujourd’hui, les jeunes sont débarrassés de toutes les scories, les trucs théâtraux qu'on a on connu parce qu’on ne voyait que ça.
Je suis en admiration devant la jeune génération qui arrive parce qu’ils sont formidables. •
Justement, que faites-vous pour préparer un rôle ? pour vous l’approprier, le travailler ?
Pas de voix d’acteur, de diction d’acteur, la technique on doit la posséder mais pas la montrer. Surtout ne pas être théâtral. Il fût un temps où je me servais trop de ce que j’avais trop appris. J’étais devenu un acteur explicatif, habile. L’habileté qui se voit, quelle horreur !
Bouquet dit : « Ne leur explique rien, ils comprennent! » Surtout ne pas ressembler à un acteur, ressembler au rôle qu’on joue. On répétait «Le retour» de Pinter avec Jean-Pierre Marielle et il disait «Non non, je ne vais pas faire ça ! Là ça fait théâtre ! » Et il trouvait la simple vérité. Avant on venait voir l’acteur faire l’acteur, mais quoiqu’en dise certains, le jeu a évolué. Déjà Fernand Ledoux n’avait pas l’air d’un acteur, il était un vrai chef de gare ! Même Sarah Bernhart a dit : « Quel dommage que le cinéma soit venu si tard, je n’aurais pas joué de la même façon... » Trintignant ne ressemble pas à un acteur. J’ai joué 250 fois «Moins deux» avec lui, j’ai toujours vu en scène un type incroyable. Avec lui, aucun truc possible. Aucun subterfuge. Un jour, je lui ai fait sincèrement le plus beau compliment qu’on puisse faire à un comédien : « Quand je te vois jouer, j’oublie que je te connais. »
Bouquet dit : « Un personnage on y pense un peu, en voiture, on lit un bouquin, on regarde le bonhomme qui passe dans la rue, comment il marche, ça serait intéressant. On n’y pense plus, on oublie, on laisse venir... »
Un jour, en répétition, le personnage prend possession de vous-même. Il rentre en vous par effraction. Georges Wilson raconte dans un livre comment, un jour, en répétition, sans savoir quand ça va se passer, l’acteur se débarrasse de sa chrysalide. Ça a l’air compliqué, c’est difficile de trouver la simplicité.
Je vous donne un petit exemple puisque vous me posez une question. Dans Hysteria, je jouais ce personnage de médecin juif qui est toujours en vélo, qui reste chez Freud les soirs où il y a le couvre-feu. Et un jour je demande à ma femme : « Ce personnage il est comment ? Il est célibataire ou il est marié ? Qu’est ce qu’il a dans sa sacoche ? Il a des trucs à piqûres, il a une chambre à air de vélo... » Ma femme me dit : une pomme. Voilà ! Avec la pomme, j’ai compris le personnage. S’il avait une pomme, c’est qu’il était célibataire. Il n’a pas de femme pour lui préparer son goûter. Autour de cette pomme, tout d’un coup mon personnage a commencé à se construire.
Un jour, on demande à Fellini comment il fait pour écrire ses films et il dit « Vous pensez à un des moments les plus forts qui vous est arrivé dans votre vie et il y a un petit fil qui dépasse. Vous tirez tout doucement, pour ne pas le casser ». Pour un acteur c’est pareil. Il y a un petit fil rouge qui dépasse, et puis on tire, et tout d’un coup on s’aperçoit qu’il n’y a plus d’effort à faire. Il n’y a pas à faire trois ans de diction pour ça.
Au cinéma, les gens croient qu’on est assis tout le temps. On est assis mais il faut rester dans le film. Gabin disait « Quand tu arrives au studio, tu viens livrer. Le boulot tu l’as fait à la maison. » Comme on ne répète pas ensemble, on a répété nous-même. On pense au personnage. C’est magnifique de rassembler les petits bouts de prise pour en faire une unité. On ouvre une porte en colère, un mois après on tourne le plan où on rentre dans le couloir. Il faut se souvenir de la densité de colère qu’on avait. Je trouve ça passionnant.
Est ce qu’il vous est arrivé qu’un personnage prenne possession de vous au point qu’il soit difficile de s’en défaire une fois la pièce ou le tournage terminé ?
Ça n'est pas trop difficile de se défaire des rôles, ce qui est difficile c’est de se défaire de l’amitié de la troupe qu’on quitte, du film qu’on quitte. On ne vit que provisoirement. On se crée des famille provisoires. Il faut le savoir.
Bouquet m’a toujours dit que les personnages de salauds il faut les jouer sympathiques. Parce que les salauds, ils ne se disent pas qu’ils sont des salauds. Il dit aussi qu'il faut toujours défendre son personnage. Quand j'ai joué Danglars, ça a duré quatre mois au Portugal. Danglars c’est l’ordure, le comptable qui envoie Monte Cristo aux galères. Danglars, je l’avais défendu. Le dernier jour de tournage, j’avoue que je suis allé poser mon costume sur un portant et, pour moi tout seul, comme ça, j’ai dit « Salut Danglars ». J’avais l’impression de perdre quelqu'un que j’avais côtoyé longtemps.
Un jour, j’ai fait une expérience. Comme ça, pour moi tout seul, sans rien en dire. Je tournais dans une propriété dans le midi. Il y avait une grille, puis un parc, puis une grande maison. Je jouais le grand-père qui est censé avoir passé toute sa vie dans la maison. Je me suis dit « Il faut que cette maison t’appartienne. Vraiment. » Donc, le premier jour du tournage, en franchissant la grille je me suis mis à m’inventer des souvenirs d’enfance en y mêlant les miens, et je me disais : « Oh oui, la je me souviens quand j’avais 5 ans et que mon père m’a rattrapé par le fond de la culotte parce que j’allais sauter le petit mur qui est là bas. Et puis cet arbre là, il y en avait un autre à côté et ils l’ont coupé. » Je suis monté dans les étages et j’avais une porte à ouvrir. J’ouvre la porte, je l’ouvre, je la ferme, je l’ouvre, je la ferme. Je tourne la poignée. Un machino me demande ce que je fais et je lui dis « Je m’approprie la porte ». Parce que quand on a vécu toute une vie dans une maison, on ne cherche pas la poignée d'une porte. Ça a marché. Comme les enfants, je m’étais inventé une vie à laquelle je croyais dur comme fer.
Et jouer votre pièce est plus difficile ?
Non… c’est pareil. Je jouais dans le Misanthrope avec Arnaud Bédouet qui m’a mis en scène pour Martin. Je l'ai vu à l’inverse de moi, soigneux, méticuleux, c’était mon homme. Je suis allé un jour chez lui et je lui ai lu ce que j’avais écrit. Au bout de deux minutes il me dit
« C’est bon., c’est d’accord. » À la première répétition, il s'assoit, silence, et je lui dit : « Je ferai exactement ce que tu me demanderas. Je me livre à toi.» Il était soulagé. J’ai joué ce texte comme si je ne l’avais pas écrit. Hélène Delprat m’avait fait un décor magnifique.
Comment a débuté l’aventure Moins Deux qui vous a valu un Molière ?
La pièce Moins Deux c’est toute une histoire. Un jour, Jean-Louis (Trintignant) me dit
« Est-ce que tu jouerais avec moi ? » Je lui dit « Bien sûr ». Jean-Louis est de ces acteurs qui tous les soirs disent que ce serait bien qu’il y ait un petit accident. Un rien du tout, un trou de mémoire. Il faut que tous les jours il y ait une petite différence pour que ça nous empêche de s'installer dans des rails. Sinon on joue avec des tics. Avec ces petits accidents, la pièce retrouve sa fraîcheur tous les soirs. Ça crée de la vie.
Si vous aviez en face de vous un jeune comédien, que voudriez-vous lui dire, dans le contexte actuel, qui est peut-être un peu plus difficile…
Le contexte actuel n'est pas plus difficile. Quand j’ai débuté il n’y avait pas de télé. Il n'y avait qu'une chaîne. Maintenant ça tourne dans tous les sens. Il y a plus de travail. On dit qu’on est nombreux, qu'il y a 800 personnes au Cours Florent. Mais combien restent? Quand un jeune comédien me dit « Je veux être comédien, qu'en pensez-vous ? » je lui dis « vas-y ! et si dans un an tu as toujours envie d’être comédien, et bien tu es fait pour ça ! » Aujourd’hui, les jeunes sont débarrassés de toutes les scories, les trucs théâtraux qu'on a on connu parce qu’on ne voyait que ça.
Je suis en admiration devant la jeune génération qui arrive parce qu’ils sont formidables. •
© Photo : Roger Dumas
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