L'avare, mis en scène par Georges Werler
mercredi 13 mai 2009
Comment êtes-vous venu au théâtre ?
Je ne sais pas. J’ai l’impression d’avoir toujours rêvé du théâtre, d’avoir toujours vécu dans et avec le théâtre. Le théâtre m’apparaît comme la seule activité qui mérite qu’on lui consacre sa vie. C’est par la fiction qu’on peut approcher de plus près la connaissance du monde. Si ce n’était pas le cas, le théâtre n’existerait plus depuis longtemps, et nous n’en parlerions plus.
Alors qu’est-ce qui vous a poussé vers l’enseignement ?
C’est pour moi la partie qui est devenue la plus importante de la recherche théâtrale. On dit souvent que l’on enseigne ce que l’on cherche. Je le crois profondément. Et cela oblige à une remise en question salutaire de toute certitude. La connaissance des auteurs, des œuvres, des personnages nous apprend à nous mieux connaître et à comprendre ou à sentir la richesse qui est en chacun, aussi lointaine et souterraine soit-elle. C’est un chantier permanent qu’il faut ébouler et reconstruire. Je suis obligé de me confronter à une jeunesse exigeante et intuitive qui attend beaucoup de moi. C’est donc aussi l’école de l’humilité.
Vous avez également enseigné au Conservatoire National Supérieur de Danse et de Musique de Paris avec des élèves qui étaient musiciens. J’imagine que l’approche du texte était différente ?
Je leur ai fait approcher la musique des mots et sentir que cette musique pouvait être aussi belle que la musique des notes et qu’elles étaient faites pour respirer ensemble. En particulier pour les chanteurs pais aussi pour des danseurs ou des instrumentalistes. Ce furent des années de grand bonheur que je dois à Jean-Pierre Miquel, alors directeur du CNSAD. A cette époque, à la demande de Michel Bouquet, Jean-Pierre avait accepté qu’une classe du Conservatoire soit dirigée par deux professeurs. Cela a duré cinq ans et c’est à cette époque que le Directeur du Conservatoire National Supérieur de Danse et de Musique a demandé au Directeur du CNSAD un professeur de théâtre et a ouvert cette classe qui n’existait pas et que j’ai inaugurée. J’ai donc enseigné le théâtre en même temps dans les deux Conservatoires. La classe a été ouverte comme je l’ai dit pour les chanteurs mais bien vite les instrumentistes sont venus et c’était merveilleux de faire travailler une scène avec un chanteur et une harpiste ou un danseur avec un trompettiste, etc. Travaillant dans la même maison, ils ne se connaissaient pas ! Un jour, une élève m’a dit : « le théâtre me libère le corps et j’ai l’impression que ma relation avec mon instrument est devenue différente. Avant, mon corps était en dehors de mon champ de travail ». Le travail théâtral avait rendu sa relation à son instrument un petit peu plus intime et détendue.
L’enseignement est l’activité qui me donne le plus de joie et d’angoisse tout à la fois.
Qu’est-ce qui prime dans votre approche du théâtre ? Le travail du corps ou la compréhension du texte ?
Je suis un homme de texte, mais les deux sont indissociables.
Quel est votre processus de travail ? Par exemple, vous avez travaillé deux fois Le Roi se meurt de Ionesco…
Et deux fois avec Michel Bouquet à quinze ans d’intervalle. Nous l’avons remonté parce que nous avions l’impression de n’avoir pas été au bout de l’interprétation et de la conception de l’œuvre. Nous étions d’accord pour tout remette à plat. Nous l’avons fait et deux Molières nous ont récompensé.
Quand on travaille un texte, on peut distinguer deux approches : soit on considère que la vérité est dans le texte et on laisse parler la vérité, soit la mise en scène intellectualise le texte et en propose une approche. Quel est votre parti pris ?
J’espère être un serviteur du texte, ce qui ne veut pas dire que je ne trahis pas l’auteur. C’est parfois en trahissant l’auteur qu’on le sert le mieux ! Toutes les pièces que j’ai montées, j’en ai monté cinquante, ont toujours été une trahison. La pièce passe par le style et la sensibilité du metteur en scène et des acteurs. C’est toujours une trahison, mais une trahison de bonne foi, une trahison d’honnête homme.
Vous parliez tout à l’heure de Michel Bouquet. Est-ce qu’il y a des personnes qui vous ont inspirées, guidées, ou qui marquent votre carrière au théâtre ?
Ma rencontre avec Michel a modifié le cours de ma vie. Pour chaque individu peut-être en est-il ainsi ? Mais il est vrai que notre métier provoque et privilégie des croisements, des rencontres qui bouleversent et transforment notre existence, nos choix et nos désirs…
Sur le plan théâtral, Michel, sans conteste, a été l’homme le plus important. Travailler avec lui rendait le reste peu exaltant. Il y a des moments où il faut faire des choix. C’est ainsi que j’ai abandonné l’interprétation au bénéfice de l’enseignement et de la mise en scène. Mais ce choix s’est fait lui même, presque à mon insu.
Vous avez aussi été un peu programmateur pour le Théâtre de l’Est Parisien (TEP) ?
Oui, j’ai d’abord été assistant, et puis … c’était plus compliqué que ça avec Guy Rétoré mais disons que j’ai commencé par être assistant et puis j’ai moi-même fait des mises en scène. C’est comme ça que j’ai participé à la programmation.
Que vouliez-vous mettre en place ? Quelle était la vision que vous vouliez impulser à ce théâtre, en fonction de son identité ? Est-ce que c’était une programmation plaisir ou alors avec le souci de la réponse du publique ?
Le théâtre doit toujours être un plaisir. Il ne s’agit pas de donner des leçons. A quel titre ? La première pièce que j’ai monté au TEP c’est Marie Tudor de Victor Hugo, sur le pouvoir absolu, puis a suivi Les Propriétaires des clefs de Milan Kundera. C’est une pièce que vous ne pouvez pas connaître puisqu’il l’a retirée de sa bibliographie. Il a été satisfait de mon travail et il me l’a dit mais sa décision de l’interdire a été prise plus tard quand il a pris conscience que, la plupart du temps, la dramaturgie n’était pas respectée et faisait de son œuvre une pièce fasciste. Les propriétaires des clefs, c’est bien sûr les propriétaires de l’appartement, mais aussi les propriétaires de l’idéologie. J’avais été voir Milan à Prague un an avant le montage de la pièce. A cette époque, il ne pouvait pas sortir de Tchécoslovaquie et c’est en revenant de Prague où il vivait que j’ai rapporté clandestinement le manuscrit de Jacques et son Maître, que j’ai déposé chez Gallimard et que j’ai créé en France quelques années après.
Donc vous avez eu la chance de travailler avec Milan Kundera ?
Comme je vous l’ai dit, à l’époque, il ne pouvait pas sortir de Tchécoslovaquie. Puis un jour, il est venu, il a obtenu le droit de venir en France quelques jours. J’ai aperçu une tête, comme ça, au fond de la salle. C’était Milan ! Il était venu voir la pièce, sans s’annoncer, en payant son billet. Il était follement heureux. Même chose avec Slamovir Mrozek (franco-polonais). J’ai monté quatre de ses pièces dont deux créations. Mais la situation était différente, il avait quitté la Pologne, il habitait la France.
Une des grandes joies de notre métier, on le disait tout à l’heure, ce sont ces moments privilégiés de rencontres exceptionnelles.
Comme a été pour moi cet immense privilège d’avoir été chez Jean-Paul Sartre et d’avoir pu l’écouter et l’interroger sur Nekrassov qu’il est venu voir en compagnie de Simone de Beauvoir.
Ces gens-là ont été des fulgurances dans ma vie, ils m’ont marqué au plus profond de moi.
Mais monter Le Marchand de Venise de Shakespeare, c’est aussi une grande émotion. L’antisémitisme, le racisme sont des sujets qui me hantent et j’avais envie de parler à travers mon métier d’artiste. La nécessité du théâtre répond à la nécessité du comportement du citoyen.
Toutes vos mises en scènes ont une dimension politique ? Vous avez l’espoir que des spectateurs qui assistent à ces pièces reçoivent une réflexion citoyenne ?
J’ai d’abord l’espoir qu’ils éprouvent du plaisir. Ensuite, quelque chose se passe, peut-être à l’insu du spectateur lui-même, qui prendra racine et s’épanouira. Il faut que ça soit beau, il faut que cela soit fort et que cela rende heureux. Quand on entre dans un théâtre, on est au théâtre et pas devant la télévision.
Quelle est la dernière pièce que vous êtes allé voir ?
Fin de Partie à l’Atelier, Les deux canards au Théâtre Antoine.
La dernière qui vous a marqué ?
La saison passée, j’ai vu Chemin du ciel, Himmelweg de Juan Mayorga dans une mise en scène de Lavelli. Un inspecteur de la Croix Rouge visite un camp de concentration où tout a été masqué pour faire de ce camp un village heureux, propre, fleuri, afin que l’envoyé mystifié reparte satisfait et que l’horreur puisse reprendre en toute impunité. C’est historique et ça fait peur. Il y a un moment où à force de cacher, de nier, on ne sait plus où se trouve la vérité et la mémoire se trouble et le faux anéantit le vrai.
Aller au théâtre, ça vous plait ?
Oui, beaucoup. J’aime ça. Il y a toujours quelque chose qui m’intéresse. Soit un acteur, soit une nouvelle pièce, soit un auteur que je ne connais pas ou peu, soit un metteur en scène que j’apprécie, soit un décor ou des costumes… oui, j’aime vraiment ça. Et je suis très bon public. Naturellement, quand je suis en montage ou en représentation, je vois beaucoup moins de spectacles. Par exemple, quand j’ai monté Monsieur Schpill et Monsieur Tippelton de Gilles Ségal, je suis resté plus de trois mois sans aller au théâtre tant ce spectacle m’a accaparé et exigé toute mon énergie. Ça se passe dans l’univers du cirque et ça pose la question du droit à être différent des autres. Est-ce qu’on a le droit d’avoir le nez un peu courbe ? est ce qu’on a le droit d’avoir des cheveux un peu frisés ? est ce qu’on a le droit d’avoir la peau un peu basanée ? est ce qu’on a le droit d’être un nain ? Dans Monsieur Schpill et Monsieur Tippleton, des nains sont recherchés par la police pour être exterminés au nom de l’épuration ethnique. C’est avec ma compagnie que j’ai monté le spectacle et ont a eu deux Molières, celui de l’Auteur et celui du Spectacle subventionné. Et dix ans après, avec Le Roi se meurt, nous avons eu deux Molières, celui du Comédien et celui du Spectacle Privé, produit par le Théâtre Hébertot. Je suis paraît-il le seul metteur en scène à avoir obtenu les deux statuettes public et privé.
Vous êtes au-dessus des partis …
J’ai passé la moitié de ma vie à monter des spectacles dans le secteur public et l’autre moitié dans le secteur privé. Je ne fais pas de spectacles différents si je monte du même auteur Le Propriétaire des clefs au TEP ou Jacques et son Maître à Théâtre des Mathurins. C’est ma manière de vivre et c’est ainsi ! Je vois autant de spectacles dans l’un et l’autre secteur ! Alors pourquoi ne puis-je pas voter pour un spectacle public et ne puis-je le faire que pour le le secteur privé ? Je sais que c’est très difficile et que vouloir satisfaire chacun relève de la quadrature du cercle. J’ai pourtant le sentiment que les choses avancent et que les blocages s’atténuent. Je crois qu’il y a une volonté sincère chez la nouvelle équipe élue de construire, de modifier, de rendre toute chose plus claire. Irène Ajer à la présidence a toutes les qualités pour clamer le jeu des plus exaltés et son objectivité est un gage d’impartialité rassurant.
Et, pour vous, recevoir vos Molières, qu’est-ce que ça a changé ?
Il y avait dix ans entre les deux. En 1996, ça a hissé la compagnie à un niveau qu’elle n’avait pas encore atteint. Et ça a permis une tournée importante en débordant des frontières. Artistiquement, nous avons été confortés dans notre travail et économiquement, le spectacle a été rentabilisé et a permis qu ‘un autre spectacle lui succède. Dix ans après, les enjeux étaient différents. Le choc fut moins violent mais c’était la confirmation d’une continuité professionnelle et artistique solide et la possibilité de continuer notre travail sereinement. Mais chaque fois ce fut une récompense et une grande joie pour tous les participants.
Photo : DR
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