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mercredi 6 avril 2011

Victor Haïm, auteur enragé


Victor Haïm n’est pas prêt à prendre sa retraite. D’ailleurs, pour lui, être écrivain n’est pas un métier, c’est une passion. Passion qu’il vit avec fureur depuis plus de 60 ans. Avec quelques 54 pièces, il est l’auteur d’une œuvre engagée, qui croque l’époque avec humour.

A 7 ans, la guerre fait rage et il est caché dans la cave d’un collège catholique quand il assiste à sa première représentation de théâtre amateur. Dix ans plus tard, il entre au Conservatoire de Nantes avec l’envie de devenir comédien. Il y travaille Musset, Molière, les classiques. « Monté » à Paris pour finalement intégrer une école de journalisme, il commence à écrire.


« J’écris parce que j’ai beaucoup de choses qui me turlupinent, d’obsessions, de rage, de colère, d’amour, d’anecdotes, de rencontres, de femmes, d’amis. Tout ça me nourrit. Mais malgré tout, on retrouve dans toutes mes pièces le thème de l’humiliation des êtres humains par d’autres êtres humains.
C’est sûrement par expérience personnelle. J’ai vécu tellement de choses depuis l’âge de 7 ans où en général on est insouciant, on pense à jouer aux billes et au ballon. Moi, j’ai dû me planquer pendant quatre ans, avec ma famille. J’ai vécu des choses assez dures. Je n’écris pas uniquement pour rigoler, mais je veux qu’on rie, qu’on s’amuse à toutes mes pièces. Je veux que ça soit distrayant mais ça n’est pas le but. C’est le moyen de faire passer des choses. La dernière pièce au petit Hébertot (Fureur), les gens m’ont dit «  c’est horrible mais qu’est-ce que j’ai ri ». C’est le but de la manœuvre.

J’ai écrit des pièces qui ont été réputées... pas difficiles, mais qui voulaient dire quelque chose. La pièce qui a été la plus jouée, c’est Adam et Samuel, qui raconte le conflit entre un juif très riche, qui pourrait être Rothschild, et un juif très pauvre qui pourrait être Krazuki de la CGT. Ils n’ont pas grand chose en commun. Déjà en 1971 j’ai pensé que cette communauté ne formait pas un bloc monolithique qui s’entend bien et qui se serre les  coudes pour dominer le monde. Pas du tout. J’ai mis en scène un escroc qui était la description très exacte de Bernard Madoff. J’ai écrit ça en 1971. A l’époque, Bernard Madoff était un très très jeune homme mais j’ai pressenti cette chose-là. Je me suis fait un peu taper dessus et maintenant on dit que la pièce est un classique. Elle a été très bien jouée par Michel Aumont et Jean-Pierre Roussillon, montée à la Comédie Française. Ça été un beau succès.
J’ai écrit des pièces qui disaient des choses graves, urgentes, tragiques, mais on rit tout le temps. A chaque fois que j’ai écrit une pièce, c’était pour dire quelque chose, ça n’était pas dans une préoccupation de succès. Je me fous de ça. Pour moi, un échec, c‘est d’avoir raté une pièce. Je la lis, je me dis qu’elle n’est pas bonne. Mais écrire une pièce racoleuse, boulevardière, putassière, et avoir un gros succès, je pense que je ferais une dépression. Mon seul souci est de réussir la pièce que j’écris. Si je ne la réussis pas, je suis malheureux.

Avec Jeux de scène, je réglais mes comptes avec les cuistres du théâtre. Je l’ai écrite très vite en pensant à deux comédiennes que je connaissais et que je voulais voir jouer ensemble. Et puis, comme souvent dans le métier, ça n’est pas ce qu’on pense qui arrive… J’ai donc mis la pièce dans un tiroir.  Un jour je l’ai ressortie et je l’ai envoyée à Marcel Bluwal, qui l’a donnée à Danièle Lebrun qui a voulu la monter. Pour moi c’est une pièce mineure, charmante, légère, sympathique. Elle dit des choses assez cruelles sur le métier. Je n’ai pas pensé que c’était une pièce ratée, j’ai pensé que c’était une pièce réussie, et ce qui m’a plu c’est l’hommage de la profession, que les acteurs dans la salle se disent qu’ils aimeraient bien jouer une pièce de Victor Haïm. Je suis convaincu qu'un certain nombre de gens qui ont voté pour moi pour ce Molière n’avaient pas vu la pièce. Ils savent que depuis 1963, je n’ai pas écrit une ligne qui ait été dictée par une intention néfaste, vénale, commerciale ou honteuse. Tout ce que j’ai écrit, je l’ai fait dans la liberté totale, et dans le désir. Ça a été ma seule contrainte et c’est moi-même qui me la suis donnée.
Le Molière pour cette pièce, ça m’a semblé un peu bizarre. J’ai quelque fois joué dans des endroits très marginaux, où la critique ne vient pas. C’étaient des pièces 150 fois supérieures à Jeux de scène. Mais les critiques ne s’occupent pas du tout des pièces de théâtre. Ils s’occupent des vedettes. Si une vedette joue un gros étron bien fumant, ils y vont, mais si de bons acteurs, inconnus, jouent de très grandes pièces, ils n’y vont pas. Voilà ce que j’ai constaté. Alors je suis un peu furieux. Pas aigri parce que je suis très privilégié par rapport à tous mes collègues que je croise et qui me disent «  Comment fais-tu pour être joué ? » Je ne sais pas, je ne fais rien, je n’ai jamais été producteur d’un de mes spectacles. Je les donne. On n’en veut pas ? Torchez vous avec. Vous en voulez ? Montez-le.

J’écris pour que ça soit joué, pour le public, mais en estimant que le public a quelque chose dans le crâne. Cette fantaisie que j’ai jouée au Petit Hébertot, on m'a dit c’était exigeant mais d’une manière complètement farfelue, en riant, en déconnant. Ça doit être accessible au public. Si, pour ne pas être cuistre, on est bas pour frapper juste, alors on fait de la télévision.
Je suis un auteur dramatique, de théâtre, qui de temps en temps, pour alimenter sa famille, a fait 2-3 télévisions. Mais je n’aime pas ça du tout. C’est le contraire de l’art pour moi. On n’a jamais demandé à Samuel Becket, à Eugène Ionesco, à François Billetdoux, à Jacques Audiberti d’écrire des téléfilms, jamais ! C’est comme si on disait que jouer de l’accordéon dans une cour et jouer du violon à la salle Pleyel, c’est la même chose.
J’ai essayé le cinéma. Mais le réalisateur est vraiment l’auteur. J’ai écrit un téléfilm avec Annie Girardot qui jouait deux rôles. Je suis étonné qu’on ne le passe pas pour lui rendre hommage. Elle jouait deux sœurs jumelles, elle se parlait à elle même. C’était très bien. J’avais carte blanche.

Comme les réalisateurs, les metteurs en scène sollicitent rarement les auteurs. Je vais vous dire quelque chose de cruel, mais plus un metteur en scène est médiocre, moins il veut que l’auteur vienne. Un très bon metteur en scène, qui est sûr de lui, qui sait ce qu’il fait, qui est talentueux, il vous invite à venir. Il ne me demande pas d’intervenir, et je n’interviens jamais, mais quand un metteur en scène est médiocre, il souhaite surtout que vous ne veniez pas, il a trop peur. C’est une règle absolue, je n’ai pas vu d’exception à ça !

Il y a deux metteurs en scène qui ont eu une grande influence sur moi. Il y en a un qui est maintenant au paradis, j’espère, il s’appelait Pierre Valde. C’était un ancien assistant de Charles Dullin et c’est le premier homme de théâtre qui m’a appelé : « Je m’appelle Pierre Valde, j’ai un cours d’art dramatique ». Il m’a présenté ses élèves : Michel Marquet, Gérard Desarthe, et sortaient de son cours Jean-Louis Trintignant, Pierre Santini et Jean-Pierre Kalfon. C’est un homme qui a monté deux de mes pièces alors que j’étais totalement inconnu. C’est la première fois que j’étais joué. C’est grâce à lui que j’ai continué à écrire. Il m’a dit : "Débarrasse toi de ça, de ça  et ça. Quand tu te seras débarrassé de tout ça, tu vas faire de bonnes pièces". Le deuxième metteur en scène qui a eu une grande influence c’était Etienne Biérry. En 1976, il m’a pris par les épaules et m’a mis sur scène. Il m’a dit : « Tu joues ta pièce et tu ne nous emmerdes pas ». Avant ça, je n’ai pas eu d’expérience de comédien à part apprendre des textes et jouer devant les copains. J’ai passé des concours que je n’ai pas eu. J’étais beaucoup trop inhibé, beaucoup trop fragile, coincé, timide pour faire quoi que ce soit. En 1976, j’ai écrit une pièce en pensant à Michel Bouquet. Il m’avait dit « Ecris-moi une pièce, je te la jouerai Victor ». Je l’ai écrite et Etienne Biérry, le directeur du Théâtre de Poche, m’a dit qu’il voulait monter ma pièce : « Mais je ne prendrai pas Michel Bouquet car cette pièce n’est pas pour lui, elle est pour toi ». C’est lui qui m’a mis sur scène et il a été d’une grande patience parce que je me décourageais. Je disais que je n’allais pas y arriver, que j’avais le trac, que je ne pouvais pas dire un mot… Et puis je suis arrivé sur scène et dès que j’ai senti le public, en bon cabotin que je suis, je me suis lancé et j’ai fait mon numéro d’acteur.
Ça m’a un peu incité à jouer de temps en temps mes pièces. Mais ça n’est pas ce que je demande. Je n’écris pas en pensant à moi. Sauf quand Xavier Jaillard me dit : "Si tu écris un truc pour toi, tu viens jouer chez moi".

Avant d’écrire, j’ai une idée et je suis dans un sentiment obsessionnel. J’y pense, je rajoute des choses dans ma tête, et je ne peux pas prendre de notes. J’ai le sentiment que si je prends des notes ça va s’échapper. Donc je laisse bouillonner, et quelques fois ça bouillonne dix ans. Et tout à coup, ça s’articule, je trouve des solutions, et ça vient s’ajouter petit à petit, comme un mille-feuilles. Et le jour où j’ai vraiment très mal à la tête, que j’ai l’impression que ça va sortir par tous mes sphincters, je me mets à écrire. Ça va assez vite. Après je rectifie le tir, et je suis même capable de travailler à l’avant-scène si ça ne va pas.
L’écriture, ça vient de mes préoccupations, de la maturation. Une idée n’est pas une pièce. Ça n’a aucun intérêt. Des idées, il y en a plein, et aucune idée n’est originale. Homère, Shakespeare, Sophocle, Euripide, Marivaux, Goldoni, ils ont tout dit. L’originalité, c’est le style, c’est la manière.  C’est comme des empreintes digitales, c’est indélébile. Si je raconte une histoire de jeune fille qui rencontre un bonhomme dont les parents ne sont pas d’accord, je ne vais pas écrire Roméo et Juliette. Si vous mettez des auteurs dans une pièce et que vous leur dites « Deux clochards reniflent leurs godasses », ils ne feront pas En attendant Godot. Alors les histoires originales, ça me fait rigoler.

Pour revenir aux Molières, je trouve que la cérémonie est parfois ennuyeuse parce que les gens racontent leur vie mais c’est souvent un grand plaisir. Et puis je me suis aperçu que dans le métier, quand on a un Molière, il y a une certaine considération. On ne l’a donné qu’à de bons auteurs : Grumberg, Yasmina Reza, Eric-Emmanuel Schmitt, plein de gens que j’aime beaucoup. Quand j’aime un auteur, comme je ne connais pas la jalousie, je passe dix coups de fil pour dire aux gens d’aller voir. J’ai toujours fait ça, parce que c’est un plaisir, et une stratégie aussi. C’est toujours bien d’être nombreux. Il doit y avoir une émulation. Quand on dit qu’il y a de bons auteurs en France, c’est bon pour tout le monde. Il faut être idiot pour penser que les autres sont un danger.

Alors les jeunes auteurs, qu’ils écrivent, qu’ils écrivent, qu’ils écrivent. Et surtout, quand on a fini une pièce et qu’on a des avis, parfois divergents, surtout ne pas perdre son temps à la rectifier, il faut passer à autre chose. J’ai pratiqué la fuite en avant, j’ai écrit 50 pièces. Pas parce que je suis un bon auteur, mais parce que quand une pièce n’a pas d’avenir, j’en commence une autre. Alors j’ai écrit, j’ai écrit, j’ai écrit et au moins je me suis débarrassé de toutes les scories possibles. J’ai fait des progrès, j’en fais encore. Mais en art il n’y a pas de progrès, il y a une évolution. Je peux très bien, pour la prochaine pièce, me ramasser comme une guenille. Mais ça n’est pas grave, je le saurai, donc je ne la ferai pas circuler, donc j’en ferai une autre.

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